Avant d’aborder le rôle des réseaux sociaux, il est toutefois nécessaire de replacer le contexte : si les réseaux sociaux et les médias ont pu prendre autant de place, la justice porte aussi sa part de responsabilité.
Une personne proche du dossier se livre : « la communication du parquet dans ce drame a été désastreuse ».
Pourquoi une telle mise en cause ?
« Les communiqués de presse ont nourri les thèses complotistes à cause de leur approximation et ça, ça leur suffit pour décrébiliser l’institution… »
Les "chiens disparus"
Le premier couac arrive très vite: lors du communiqué de presse du 18 novembre 2019, le procureur évoque 93 chiens prélevés , qui deviendront rapidement 67 chiens… et surtout, le parquet ne donne aucune explication sur ce changement de nombre.
Ce couac dessine les premiers contours du complot : « On » a fait disparaître 26 chiens…
L’explication découle de plusieurs décisions:
l’idée de départ était de tester les chiens qui avaient été très probablement en contact avec Elisa dans les jours précédents ( les 5 chiens du couple : les deux staffies de Christophe Ellul , Chivas, qu’Elisa avait sorti juste avant Curtis et Lady; les deux American Pitbull Terrier de Christophe Ellul, Drago et Curtis; et Ice , l’American Staff d’Elisa) ainsi que les 21 chiens du Rallye la Passion ayant chassé ce jour-là)
pour éliminer les risques de « mélange » avec les autres chiens de chasse, il a été décidé de prélever l’ensemble des chiens du Rallye La Passion en âge de chasser , soit 62 chiens, chiffre qui n’a jamais changé pour les chiens du Rallye La Passion
au lieu de remplacer 26 par 67 , le parquet les a … additionnés…
L’absence d’un autre ADN que celui de Curtis sur Elisa (ongle et scalp) aurait pourtant dû « rassurer » sur l’absence de conséquence de potentiel « chien manquant ».
Un généticien soupire : « Il y avait plus simple, se contenter dans un premier temps d’analyser les ADN trouvés sur les scellés (autopsie, vêtements, etc…) et de comparer aux ADN des chiens du couple. Ils se seraient retrouvés simplement avec l’ADN inconnu qui , en l’analysant, aurait suffi pour dire qu’il n’avait rien à voir avec des chiens de chasse… On n’aurait pas perdu du temps avec les devis… ».
Comment expliquer ce choix ?
« Ce n’est que mon avis personnel, mais je pense que la justice était persuadé qu’ils allaient trouver de l’ADN de chiens de chasse. »
Un magistrat tempère : « Ne pas analyser les chiens de chasse, c’était la porte ouverte à un vice de procédure. J’entends la logique scientifique, mais quand on voit qu’on a obligé un vétérinaire à retourner dans le box de Curtis pour faire des mesures qui n’allaient pas changer… ».
Une personne présente lors de l’expertise du Dr Diaz peste contre cette nouvelle mesure: «On met en danger les personnes et le chien ».
Des expertises longuement attendues
La durée pour les tests ADN a cristallisé beaucoup d’attention également.
Encore une fois, les proches du dossier tiquent : « Le procureur avait annoncé des résultats pour février alors que rien n’était signé avec le laboratoire. C’est aberrant ».
Des lenteurs qui ont également concerné l’expertise de Curtis par le Dr Diaz :
« Le Dr Diaz avait remis son devis en février 2020. Il n’a été signé qu’en juin 2020, et il a fallu attendre le retour de vacances de Me Novion en septembre… ».
Un premier communiqué interprété
Le premier communiqué précisait qu’Elisa avait été victime de « plusieurs morsures de chiens ». Cette partie va également cristalliser des remarques.
« « Chiens » a été employé au pluriel; les gens ont traduit par « plusieurs chiens » ».
Traduction faite dans certains médias, « plusieurs morsures de chiens » devient , dans « L’Union » , sous la plume de Ludivine Bleuzé-Martin , « morsures de plusieurs chiens ». « On sait désormais que la jeune femme a succombé aux morsures de plusieurs chiens » écrit-elle dans l’édition du 20 novembre 2019.
Le même communiqué de presse précise pourtant que l’information judiciaire a pour but « d’identifier le ou les chiens mordeurs ».
Contactée à ce sujet, la journaliste n’a pas donné suite.
Un autre journaliste précise : « Le procureur nous a dit par la suite qu’il y avait au moins deux chiens, mais que ça restait à confirmer ».
Du côté magistrat, un autre son de cloche : «Les légistes qui ont fait l’autopsie ne se sont jamais avancés sur le nombre de chien. On se demande si le procureur ne s’est pas prononcé sur la seule base du témoignage du médecin qui a constaté le décès d’Elisa. Il avait déjà vu un cas pareil avec des rottweillers ; mais on ne peut pas conclure sur sa seule expérience personnelle! ».
La colère de Me Demarcq
Début février 2020, Me Demarcq, qui venait de récupérer le dossier pour le compte du maître d’équpage, fulminait déjà contre le « silence assourdissant » du parquet auprès de France 3 Régions : "Tous les jours dans la presse et sur les réseaux sociaux, des informations inexactes sont colportées et commentées. (...) Le seul qui soit à même de faire cesser la diffusion de ces informations, c'est le procureur de la République."
"Tout le monde parle d'un dossier qu'il ne connait pas. L'emballement médiatique fait que des réactions extrêmement violentes circulent.", déplore-t-il. "C'est un dossier qui rend les gens fous alors qu'il est dramatique. Il ne faut pas oublier qu'il y a une jeune femme qui est morte dans des conditions terribles. Mon client ne cherche pas à convaincre qui que ce soit à part la justice. S'il décide de prendre la parole par mon intermédiaire, c'est parce qu'il y a un tel fossé entre ce qu'on lit dans les médias et la réalité des éléments qui aujourd'hui sont au dossier, qu'on ne peut pas laisser ça comme ça."
Des propos confirmés par une source policière, les enquêteurs ont , très rapidement, constaté que l’hypothèse d’une attaque par la meute de la vénerie était plus qu’improbable au vu des éléments du dossier d’instruction. Ce que Me Terquem , avocat de la famille Pilarski confirmera en 2021 : « Il n’y a rien dans le dossier contre la chasse à courre ».
Dans l’oeil du viseur de Me Demarcq aussi, les interventions de personnes sans connaissance du dossier d’instruction, notamment, le passage sur BFM TV de Me Alligné qui se proclamait avocat de Curtis ou encore l’interview de Gérald Caldès et Mathilde Lepoutre, éducateurs canins : "Le silence dont fait preuve le procureur fait que l'institution est décrédibilisée. (...) Je lui demande simplement de communiquer des éléments objectifs. Comme tout le monde, il voit ce qui circule dans les médias et sur les réseaux sociaux."
Un second communiqué qui enflamme la presse et les réseaux sociaux
Le parquet communiquera quelques semaines plus tard, après le transport sur les lieux. Deux mots seront alors choisis, non sans conséquence pour le ressenti du public : «plus probablement ». Ces mots suffisent alors aux partisans de la thèse de l’attaque de la meute pour conforter leurs convictions. Le jour même du transport sur les lieux, un journaliste sème le doute sur l'analyse des morsures en raison d'un "corps très dégradé".
« Le procureur a manqué de prudence encore une fois dans ce dossier sensible », selon une source proche du dossier.
Les médias s’emballent de nouveau, mettant le plus souvent de côté le fait que le parquet n’écartait pas l’hypothèse d’un seul chien.
Au vu des blessures d’Elisa, les vétérinaires sont circonspects : « On ne peut pas se baser sur le nombre de morsures ou sur le scalp, ce sont des blessures très communes dans ce type d’attaques, même avec un seul chien ».
Les différentes morphologies ? « Un chien va mordre de manière différente selon la partie du corps qu’il mord, et selon comment la victime se défend. Il faut mouler et mesurer les morsures individualisables ».
Une source proche du dossier s'emporte : "Le parquet a laissé faire une des parties, on lui a laissé dire n'importe quoi dans les médias, et on lui a même laissé faire une conférence de presse... Quel mépris pour les enquêteurs et les experts..."
« Peu d’informations ont été données par le parquet et les informations données étaient tendancieuses. Le parquet, par son silence, a permis à d’autres d’occuper le terrain de la désinformation. »
Avec un terrain privilégié : les réseaux sociaux
Suite et fin dans la troisième partie
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