
Procès Christophe Ellul : six ans après la mort d’Élisa Pilarski, la justice face à l’évidence
- Benoit Blanc
- il y a 18 minutes
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Le 3 mars 2026, à Soissons, s’ouvrira un procès très attendu. Celui de Christophe Ellul, poursuivi pour homicide involontaire aggravé, six ans après le décès tragique d’Élisa Pilarski, sa compagne depuis 9 mois, enceinte de six mois, tuée par morsures de chien le 16 Novembre 2019 en forêt de Retz un jour de chasse à courre. L’instruction a mis en évidence l’implication exclusive d’un des chiens de Christophe Ellul , Curtis , un American Pitbull Terrier importé des Pays-Bas en avril 2018. L’accident est survenu dans une balade en forêt , Elisa ayant prévu de sortir les chiens de Christophe Ellul , profitant d’une météo plus clémente et pour tromper son ennui , la Béarnaise n’étant arrivée que 3 jours auparavant dans l’Aisne.
Derrière cette audience, une douleur intime, celle d’une famille réduite au silence. Derrière les faits, des années de confusion entretenue par les médias, de théories contredites par les experts, et de responsabilités évitées.
📅 16 novembre 2019 – Forêt de Retz, 13h19
Élisa Pilarski, 29 ans, est enceinte de son premier enfant. Elle promène Curtis, le chien acquis l’année précédente par son compagnon, dans une forêt qu’elle connaît mal. Elle avait promené auparavant Chivas , un Staffie appartenant également par son compagnon, sur une plaine au nord de la commune de Saint Pierre Aigle. À 13h19, elle appelle Christophe Ellul, après une première tentative à 13h16. L’appel dure 2 minutes 15.
À 13h45, alors qu’il a quitté son travail en urgence, il lui envoie un message : « Je le fais piquer ». Un SMS qu’il effacera, mais que les enquêteurs retrouveront plus tard sur le téléphone d’Élisa. Il n’est alors pas encore arrivé sur les lieux.
Sur place , le corps d’Élisa est retrouvé dans un ravin. Scalpée, mordue au bras droit et l’aine droite lacérée de multiples morsures , le pantalon et son T shirt déchirés. Les enquêteurs trouvent à proximité son blouson et son gilet , déposés par Christophe Ellul après les avoir trouvé sur le chemin. Une muselière est trouvée plus haut sur un chemin. L’attaque a été longue, violente. Elle n’a eu aucune chance.
⚠️ Ce que la justice reproche à Christophe Ellul
L’enquête révèlera que Curtis a été importé illégalement depuis les Pays-Bas. Il n’a jamais été inscrit en mairie. Il n’a fait l’objet d’aucune évaluation comportementale, pourtant obligatoire.
Son passeport le présente comme un patterdale whippet : Christophe Ellul avait demandé à Sharon de Wit , l’éleveuse de Curtis de faire inscrire une fausse race. Drago , le frère de Curtis, issu de la même portée , importé dans le même temps , devient lui un black Mouth Cur
Curtis a été éduqué au mordant, par son propriétaire, sans encadrement légal, sur des équipements de fortune.
Le jour du drame, il n’était pas muselé, malgré les obligations réglementaires et son comportement jugé “instable” par plusieurs témoins. Christophe Ellul avait pourtant été alerté.
Il laisse Élisa partir seule, enceinte, en forêt, avec ce chien.
Ce sont ces fautes – importation illégale, détention irrégulière, absence de précaution, exposition délibérée à un danger – que le tribunal examinera. Elles constituent l’homicide involontaire aggravé, car la victime était enceinte de plus de trois mois. La peine encourue : 10 ans d’emprisonnement.
📷 20 photos, une vérité
Entre 13h06 et 13h11, Élisa prend 20 photos de Curtis. Il n’a pas de muselière.
Elles contredisent formellement sa version selon laquelle le chien était équipé. Il ne l’était pas.
🐾 Une muselière déplacée ?
Une muselière, propre, intacte, est retrouvée à 40 mètres du corps. C’est celle d’Ice, le chien d’Élisa. Pas celle de Curtis: Christophe Ellul dit aux enquêteurs qu’il n’en a pas besoin , Curtis n’étant pas catégorisé. Aucune trace de sang, aucune trace de lutte. La partie civile évoquera un possible bouleversement de la scène.
❌ L’absence de morsure sur Curtis
Contrairement aux premiers propos d’Ellul, Curtis ne présente aucune morsure. Les vétérinaires le confirmeront : il n’y a pas eu de bagarre. Et aucun autre chien ne porte de lésion.
🧬 Expertises vétérinaires : deux rapports, une même conclusion
Deux expertises indépendantes (2020 et 2022) concluent :
Les blessures sont strictement compatibles avec la mâchoire de Curtis,
Elles sont incompatibles avec les chiens de chasse présents ce jour-là,
L’agression présente un comportement de prédation, avec maintien, morsures répétées au meme endroit , scalp.
Une attaque prolongée, dirigée, par un seul chien.
🧪 ADN : la science tranche
Les analyses ADN réalisées sur les vêtements, les plaies, et le sol établissent un tableau sans ambiguïté :
Scalp : ADN exclusif de Curtis. Il est forcément l’auteur de cette blessure mortelle.
Blouson : ADN de Curtis sur le blouson , sur de nombreuses zones , notamment sur le poignet droit en partie déchirée
Gilet : ADN à l’extérieur et à l’intérieur. Curtis est le seul chien présent à l’intérieur des vêtements.
Sous l’ongle d’Élisa (main gauche) : ADN de Curtis → geste de défense possible.
Sur la gueule de Curtis, côté droit : ADN d’Élisa, dans des griffures → face-à-face violent.
👉 Même un chien disparu n’aurait pu effacer son ADN d’une victime mordue. Or, aucun ADN inconnu n’est retrouvé sur les zones concernées. Tous les chiens impliqués sont identifiés. Une attaque de plusieurs chiens de chasses « disparus » aurait laissé plusieurs ADN inconnus.
🐕 Autres ADN : Ice , Chivas, et un frottement anodin
Ice , le chien d’Élisa, est naturellement présent partout. Sauf sur le scalp
Chivas, promené plus tôt, est présent sur une manche de gilet. Le propriétaire du malinois avec qui elle a eu une altercation plus tôt témoignera avoir vu Elisa porter le chien.
Un ADN inconnu est détecté sur l’écharpe, le manteau (bas et col). Il ne correspond à aucun chien de chasse. La famille pense à un chien de l’oncle d’Élisa, passé à proximité. Il ne figure sur aucune zone mordue.
👨⚖️ Une justice lente, mais déterminée
En mars 2021, la juge d’instruction demande la détention provisoire d’Ellul. Elle ne sera pas accordée. Il est placé sous contrôle judiciaire, avec interdiction de contact avec la famille Pilarski — chez qui il avait pourtant vécu plusieurs mois après le drame.
⚖️ Le déroulé du procès (3–4 mars 2026)
Le procès se tiendra sur deux journées, en correctionnelle.
Ordre prévu :
Lecture de l’acte de renvoi
Interrogatoire du prévenu :
➤ Questions du président, puis du parquet, des parties civiles, et enfin de la défense
Audition sur la personnalité
Témoins à charge : experts vétérinaires, généticiens, proches, peut-être veneurs
Témoins à décharge
Réquisitions du procureur
Plaidoiries : parties civiles (Me Terquem-Adoue), puis défense (Me Novion)
Dernière parole du prévenu
Délibéré (immédiat ou différé)
👥 Avocats
Me Alexandre Novion : avocat d’Ellul, met en avant des “zones d’ombre”.
Me Xavier Terquem-Adoue : avocat des Pilarski, parle d’un dossier “techniquement limpide”.
Me Laurence Poirette et Me Guillaume Demarcq : défendaient le maître d’équipage Sébastien Van den Berghe, non mis en cause, mais susceptible d’être entendu comme témoin. Ils ne sont pas concernés directement par le procès et ne plaideront pas.
📰 Médias et réseaux sociaux : une déformation toxique
Dès le départ, l’affaire est médiatisée à l’extrême. Des journalistes relaient des hypothèses déjà infirmées, font dire aux experts ce qu’ils n’ont jamais écrit. Les communiqués sont mal interprétés, et le témoignage changeant d’Ellul surexposé.
La famille Pilarski subit des mois d’attaques, d’appels anonymes, de rumeurs complotistes. L’enquête devient spectacle. La douleur, publique. Le doute, persistant.
Les veneurs subissent également les attaques et les menaces ; notamment Sébastien Van Den Berghe, le maître d’équipage et Alexandre Guivarch, le piqueux.
💰 200 000 euros, et 5 ans d’instruction
Si Ellul avait reconnu l’évidence dès le départ :
Élisa aurait pu être incinérée rapidement, comme elle le souhaitait,
La famille aurait été épargnée de l’exposition médiatique,
L’État n’aurait pas dépensé près de 200 000 € en frais d’instruction,
Le procès aurait pu ne pas avoir lieu.
👪 Une famille digne, face au silence
Pour Nathalie, la mère d’Élisa, pour Vincent, son oncle, pour leurs proches, ce procès n’est pas une vengeance. C’est une réparation.
Ils veulent la vérité reconnue, le mensonge dissipé, et le droit de faire leur deuil. Sans qu’on leur explique qu’il s’agit “d’un dossier complexe”. Ce n’est pas un dossier complexe. C’est une affaire de responsabilités fuyantes, face à une mort évidemment évitable.
📝 Conclusion : justice, mémoire et vérité
Ce procès sera celui :
D’un homme accusé d’avoir, par ses fautes et son silence, provoqué la mort d’une jeune femme enceinte,
D’une famille qui a dû se battre contre le doute, la rumeur, et l’oubli,
D’un pays confronté à ses propres travers médiatiques.
Mais surtout, ce sera, enfin, le moment où la voix d’Élisa pourra être entendue, au-delà du vacarme, par une juridiction, et non par les réseaux sociaux.
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